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Chroniques
Sunrise
film de Friedrich Wilhelm Murnau – musique d’Helmut Oehring
Fondateur de la Twentieth Century Fox – appelée à l’origine Fox Film Corporation (1915) –, le producteur William Fox visionne Der Letze Mann (Le dernier des hommes, 1924), un film pour lequel Friedrich Wilhelm Murnau utilise une caméra très légère afin de mieux investir le labyrinthe du Grand Hôtel Atlantic. Enthousiaste, il invite le réalisateur à venir diriger dans ses studios, sans restriction de budget. C’est le départ d’une période américaine mouvementée qui s’ouvre avec Sunrise (L’aurore, 1927) et se clôt avec Tabu (Tabou, 1931) [lire notre chronique du 20 mai 2014].
Conçu d’après le récit d’Hermann Sudermann Die Reise nach Tilsit (1917), Sunrise – a song of two humans n’est pas l’histoire particulière des deux personnages du sous-titre mais un drame aux sentiments universels. Un fermier envoûté par une citadine en vacances décide de noyer son épouse pour partir s’installer en ville après la vente de ses biens. Il y renonce au dernier moment et part à la redécouverte de cette femme devenue transparente au fil des ans – moyennant finances, ceci dit, car il coûte cher ce divertissement urbain (barbier, photographe, jeux de foire, restaurant) qui permet d’évacuer le traumatisme du crime projeté ! Truffaut en parlait comme du « plus beau film du monde », ce que semble approuver le réalisateur et musicien Bertrand Bonello : « avec chaque plan, on a l’impression, quasi mystique, qu’il n’y avait rien avant et qu’il n’y aura rien ensuite. Comme si chaque image ne venait de nulle part et mourrait aussitôt après. Une succession de surgissements ».
Né à Berlin-Est en 1961, Helmut Oehring se forme en autodidacte à la guitare et à la composition – nous avions évoqué Mich.Stille, un quatuor destiné à cet instrument [lire notre critique du CD]. Pour Seven songs for Sunrise, partition créée au Capitole de Lausanne le 3 octobre 2013, le compositeur réunit le quatuor à cordes Sine Nomine, Noëlle Reymond (contrebasse), Jörg Schneider (trompette), Nikita Cardinaux (clarinette basse), Jürg Henneberger (piano et direction) et David Moss (voix), présents ce soir. Chez Murnau, il apprécie la mise en lumière hétéroclite de la tragédie intérieure ; il explique :
« la musique que j’ai composée pour accompagner L’Aurore est structurée en mélodies, SONGS, instantanés étendus dans le temps qui chantent surtout la fragilité, le caractère éphémère de notre être et de notre existence avec les autres. […] En apparence, nous semblons tous ancrés dans l’existence. Mais, en réalité, nous sommes tous abattus, pensifs, vacillants, inachevés, aimants, tendres. Chaque jour nous pensons à la mort ».
La proposition d’Helmut Oehring séduit par une certaine délicatesse qui n’a pas peur des soli, voire du silence, et domine des moments plus tendus et rythmiques (gare, tempête, etc.). Si les grommellements récurrents apportent plus au concepteur qu’au public – renvoyant à son « intérêt pour le langage, l’audible et le visible » –, ce dernier aura été peut-être plus sensible, comme nous-mêmes, au dialogue fréquent entre harmoniques des cordes et sonorités surprenantes au piano.
LB